Jean Fontant, 33 ans, médecin en soins palliatifs, nous ouvre les portes de ce métier passion qui, loin de se limiter à la gestion de la douleur, célèbre la vie même à ses ultimes moments par une approche qui transcende la technique pour toucher à l’humain. Jean nous partage ici son cheminement, ses motivations, et l’impact profond de son travail tant sur ses patients que sur lui-même, offrant une vision éclairée et profondément humaine de ce que signifie être médecin en soins palliatifs aujourd’hui.
Qu’est-ce qui vous a conduit à devenir médecin en soins palliatifs ?
Au collège, j’étais fasciné par un camarade qui voulait devenir médecin. Je voulais l’imiter. Puis, mon intérêt pour la médecine est devenu plus personnel suite à un traumatisme crânien qui, à l’âge de 13 ans, m’a conduit à fréquenter assidûment les hôpitaux. A vrai dire, l’attitude du médecin qui me suivait m’a profondément choqué et m’a donné le désir de soigner avec empathie, de réellement écouter.
Au lycée, ma vocation s’est consolidée au gré des débats sur l’éthique médicale, un sujet qui me passionnait. Mais c’est lors d’un stage en onco-pédiatrie que les soins palliatifs ont vraiment commencé à m’intéresser. J’étais touché par la résilience des enfants atteints de maladies graves et par l’approche des médecins qui prenaient le temps d’écouter les jeunes patients et leurs familles . Il y avait une très belle qualité de prise en soins.
Plus tard, lors d’un stage à la maison Jeanne Garnier, j’ai aussi beaucoup appris aux côtés d’un médecin en soins palliatifs qui savait s’asseoir auprès de ses malades pour les écouter. J’ai aimé cette médecine qui prend soin de la personne sans lui couper la parole comme on a trop tendance à faire en médecine. Cela m’a émerveillé.
Quelle a été votre formation pour exercer ce métier ?
J’ai fait six ans d’études de médecine à Paris 5 Descartes, dont une année ERASMUS à Rome dans un service de maladies infectieuses, et un stage de 2 mois en Ouganda avec une association offrant des soins palliatifs en dispensaire et à domicile. Cette expérience a vraiment été fondatrice dans mon parcours.
Mon internat en médecine générale s’est déroulé à Toulouse à partir de 2015. En 2017, j’ai débuté par un DESC de soins palliatifs, motivé par le besoin de réflexion sur l’éthique et le sens des soins.
Diplômé en 2018, j’ai travaillé deux ans comme assistant dans les deux unités de soins palliatifs de la Haute Garonne. Puis j’ai partagé mon activité entre soins palliatifs (60%) et cabinet général (40%). En septembre 2023, je suis finalement passé à temps plein dans une unité de soins palliatifs de 10 lits, sachant que sur Toulouse et ses environs, il n’y a que 20 lits d’unités de soins palliatifs….
Qu’est-ce que vous appréciez particulièrement dans le métier de médecin en soins palliatifs ?
La médecine des soins palliatifs est une médecine qui prend son temps, qui s’adapte à chaque patient et à chaque famille en essayant de faire du sur mesure dans la prise en soins en s’éloignant le plus possible des protocoles qui risquent de réduire les malades à leurs maladies. Cette prise en soins est un travail d’équipe qui se fait toujours en binôme. Cela est très précieux car on est complémentaire dans l’écoute et cela aide dans la gestion des situations compliquées.
Qu’est-ce qui selon vous caractérise l’accompagnement du patient en fin de vie ?
En tant que soignants en soins palliatifs, nous avons de la chance d’avoir du temps pour accompagner les patients et les familles. Ce temps pour les patients est notre plus précieuse ressource. Nous ne sommes pas meilleurs que d’autres soignants. Nous avons juste ce temps en plus qui nous permet d’être vraiment à l’écoute de celui qui souffre et de le considérer.
Quand nous faisons des entrées, nous venons souvent à trois (médecin, infirmière et aide-soignante) pour rencontrer la personne. Les patients se sentent considérés. Je suis persuadé qu’en tant que soignants, nous sommes nous-même des « médicaments » par notre manière d’écouter et d’être présent . Nous avons la possibilité de nous adapter aux besoins précis des patients.
Les malades étant plus proches de leur fin de vie que du début, nous tentons avec eux de célébrer la vie en organisant des projets, qui sont parfois tout petit à nos yeux mais très grand aux yeux des patients. Par exemple, nous avons organisé il y a quelques semaines un mariage dans le service. Il y avait forcément beaucoup d’émotions. Les soignants ont aussi organisé à l’improviste, avec simplicité un petit enterrement de vie de jeune fille. Il y avait beaucoup de joie, de rires. Nous sommes vraiment un service de vie.
Quelle place tient le travail en équipe lorsqu’on travaille en soins palliatifs ?
Il est central et indispensable. En médecine générale on se sent parfois seul quand on doit prendre des décisions médicales délicates mais en USP, on ne fait rien seul. Tout est partagé en équipe. C’est une des grandes forces du métier de médecin en soins palliatifs car on est toujours plus intelligent à plusieurs que tout seul. Avoir des regards croisés sur des situations complexes est très intéressant. Nous sommes souvent bien petits et démunis devant ce que vivent les patients ou leurs familles. Vivre cette impuissance en équipe est plus facile et permet de prendre du recul pour mieux accompagner le patient et sa famille avec bienveillance et respect.
Quelles sont vos inquiétudes pour les soignants de demain en soins palliatifs ?
Je suis préoccupé par le projet de loi actuel pour plusieurs raisons. Tout d’abord, mon inquiétude principale concerne l’équipe : nous partageons un ensemble de valeurs communes qui renforcent notre cohésion. Je crains que ce projet de loi ne crée des divisions parmi les soignants, ce qui nuirait à notre travail d’équipe.
De plus, ce projet de loi pourrait entraver ma capacité à accomplir mon rôle, qui est de prendre soin de la souffrance de la personne en fin de vie de manière globale, plutôt que de la réduire à une demande de mort souvent liée à cette souffrance . Repérer ce qui fait souffrir le patient et prendre soin de cette souffrance prend du temps. Cela ne se fait pas d’un coup de baguette magique. Si un projet de loi permet de donner la mort aux patients, nous risquons de ne plus pouvoir bien soulager les patients, qui je le répète, pour une très grande majorité, ne demandent plus à mourir quand la souffrance est prise en soins. On amputerait les patients d’un moment de leur existence où peuvent se vivre des choses riches et précieuses. Par exemple, un fils est déjà venu demander pardon à son père qu’il n’avait pas vu depuis des années. Pourtant ils habitaient dans la même rue. Il a fallu que son père soit en soins palliatifs pour qu’ils se pardonnent mutuellement. Pendant quelques jours et jusqu’à la fin de la vie du papa, le fils venait voir son père tous les jours et ils passaient de très bons moments ensemble
Je suis inquiet que cette loi entraîne une perte de sens dans notre mission. En unité de soins palliatifs, nous célébrons la vie, même à son crépuscule, en cherchant à la vivre avec intensité. Je ne me verrais pas travailler dans un contexte où l’euthanasie deviendrait une pratique courante.
Et pour finir, la loi actuelle nous protège nous, comme elle protège les patients : il nous arrive lorsque les situations sont compliquées, de vouloir que la fin de vie du patient s’accélère. L’interdit de donner la mort nous permet de préserver la confiance soignant/soigné.
Qu’est-ce qui vous aide à traverser les moments difficiles de votre métier, et notamment le rapport à la mort de vos patients ?
Le rapport à la mort n’est pas trop compliqué pour moi car on sait qu’un patient qui rentre en USP est en fin de vie. On accepte la finitude humaine et on ne lutte pas contre la mort qu’on ne voit pas comme un échec de la médecine mais comme un processus naturel.
Ce qui est le plus compliqué, c’est de se sentir impuissant face à certaines situations de patients remplis d’angoisses ou de douleurs. Ce qui m’aide quand je vis cette impuissance, c’est de pouvoir en parler en équipe, de savoir que je peux passer la main à un collègue. C’est précieux.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune médecin en soins palliatifs ?
Il est essentiel de faire confiance au travail d’équipe et de s’appuyer sur ses collègues. La formation universitaire n’accorde souvent pas assez d’importance à cet aspect. Pourtant, gérer les situations ensemble est toujours plus efficace.
Je conseillerais aussi l’importance de nouer des liens avec les patients. Même si cela nécessite parfois de prendre du recul, aimer nos patients enrichit profondément notre travail.
Un autre conseil serait de valoriser l’humour, un outil précieux qui, comme nous aimons le dire dans notre service, agit « comme un essuie-glace : il n’arrête pas la pluie, mais permet d’avancer ! »
En soins palliatifs, nous dépassons la simple approche médicamenteuse pour replacer l’écoute au cœur de notre pratique, comme un baume apaisant qui fait des merveilles pour le patient.
Quels conseils donneriez-vous à un soignant confronté à un patient qui exprime le souhait de mourir ?
- Ne pas rester seul
- Ecouter la demande du patient pour avoir une vision globale de ses besoins.
- En parler en équipe, à la psychologue pour adapter la prise en soins
- Avoir conscience que soulager un patient prend du temps
- Réévaluer la situation tous les jours, voire plusieurs fois par jour
- Prendre conscience de notre propre impuissance et l’accepter
- On ne peut pas enlever la réalité de ce que vit le patient et les angoisses de la fin de vie. L’impuissance fait partie de notre métier et il faut vraiment l’accepter. On ne soulage jamais toutes les souffrances du patient.
- La grosse angoisse du patient en fin de vie, c’est la mort et contre celle-ci, on ne peut rien faire.
Quel message aimeriez-vous donner aux soignants travaillant en soins palliatifs ?
Les unités de soins palliatifs sont des lieux dédiés à la vie, conçus pour aider les personnes à vivre pleinement leurs derniers moments, et non des endroits où l’on donne la mort. La médecine palliative se distingue par son approche humble, en contraste avec une médecine plus technique et souvent surchargée.
Contrairement à la médecine plus triomphaliste, qui se concentre sur la guérison et le sauvetage, la médecine palliative vise simplement à soulager. Nous n’avons pas le pouvoir curatif d’un chirurgien ; notre rôle est plus modeste mais essentiel.
D’ailleurs, les patients hospitalisés nous remercient souvent pour notre soutien. En accompagnant les familles et les patients, nous contribuons significativement à la santé publique.