Même si faire face à la mort fait partie de l’expérience de tout soignant, la confrontation avec cette réalité est parfois difficile à vivre. Lorsqu’un soignant affronte courageusement des situations de fin de vie avec son ou ses patients, il peut ressentir toute une gamme d’émotions : incrédulité, peur ou culpabilité face à ce qui ne peut être fait ; tristesse portée par une profonde compassion ; crainte due à des défaillances perçues… et se demander comment gérer ses émotions face à la mort.
Si vous êtes médecin, psychologue, infirmier(e), aide-soignant(e), soignant et que vous traversez cette période difficile sur le plan émotionnel, voici 10 clés qui peuvent vous aider à développer une plus grande sérénité face à la mort.
- Vous n’êtes pas responsable de la mort de votre patient
- Vous ne pouvez pas empêcher la mort d’un patient
- Vous avez le droit de ressentir de la tristesse
- Verbalisez ce qui vous a mis en difficulté
- Écoutez vos besoins
- Prenez le temps de digérer l’évènement
- Faites une relecture à distance de l’évènement pour en recueillir le sens
- Appuyez-vous sur l’équipe
- Accueillez votre impuissance
- Reconnaissez vos limites et exprimez-les
1. Vous n’êtes pas responsable de la mort de votre patient
Quand un soignant perd un patient atteint d’une maladie grave ou bénigne, le sentiment de culpabilité peut s’installer facilement. Les « et si… » viennent à l’esprit. Puis les regrets, la rumination… La finitude humaine prend souvent de court. Elle déroute et questionne. Particulièrement lorsqu’elle survient de manière inexplicable et imprévue. Il n’est pas rare qu’un médecin se sente responsable de la mort d’un patient. Et ce, même s’il a tout fait pour dispenser des soins proportionnés à la personne malade en veillant à ne pas s’acharner. Le soignant se demande parfois comment sortir de la culpabilité.
Isabelle est oncologue pédiatrique :
« La mort de mes jeunes patients m’ébranle à chaque fois. Parfois, je ressens une forme de culpabilité. Je me dis que j’aurais dû ou pu faire davantage. Parfois, cela va jusqu’à me faire douter de mes compétences… J’avoue que le soutien de mes confrères m’aide à ne pas nourrir cette culpabilité non fondée… et accepter l’inacceptable ».
2. Vous ne pouvez pas empêcher la mort d’un patient
La mort est inéluctable et les soignants doivent l’accepter. La plupart du temps, ils combattent avec persévérance cet ennemi inflexible, faisant souvent tout ce qui est en leur pouvoir pour le faire reculer… Mais la mort s’impose, même quand tout a été fait pour préserver la vie. Lorsque le pronostic vital est engagé, la médecine ne peut plus guérir. Qu’il s’agisse des médecins, des infirmières, d’une aide-soignante, ou des proches, il est alors temps de lâcher prise.
Dans une approche globale de la personne, les soignants doivent alors faire de leur mieux pour dispenser des soins de confort afin de diminuer au maximum la souffrance. S’il n’est plus possible d’empêcher la mort, il est encore possible d’accompagner la vie jusqu’au bout, et du mieux qu’on peut.
Cyril est chef de service depuis 10 ans dans un service d’oncologie
« Quand j’ai débuté, j’avais du mal à parler de la mort avec mes patients concernés par la mort. Je proposais toujours de nouveaux traitements pour redonner de l’espoir à mes patients atteints d’une maladie incurable… et ne pas m’avouer vaincu. Aujourd’hui, avec l’expérience, je connais les limites de la médecine et je parle beaucoup plus facilement de la mort avec les personnes malades concernés, leurs proches et également avec mes collègues soignants. »
3. Vous avez le droit de ressentir de la tristesse
Bien sûr, dans votre métier, vous devez « garder la tête froide » lorsque c’est nécessaire et mettre vos émotions de côté. D’ailleurs, il est fréquent de voir des infirmières ou d’autres soignants « prendre sur eux », surtout lorsqu’ils accompagnent des personnes qui se battent face à la maladie et ont besoin de courage.
Et en même temps, il est important d’accepter et d’accueillir l’émotion qui accompagne la présence d’un patient face à la mort. Oui, un soignant a le droit de se sentir triste, de pleurer… même pendant la prise en charge. Quand quelque chose vous atteint en profondeur, il est parfaitement naturel et normal de ressentir des émotions qui nous submergent face à la mort d’un patient, à la réaction douloureuse des familles… Cela fait partie de l’inévitable gestion des émotions du soignant et de son travail de deuil.
Joëlle est aide-soignante en EHPAD depuis 18 ans
« Depuis des années j’accompagne des personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer. Parfois, lors du décès d’un patient, il m’arrive de pleurer et d’y repenser même en dehors de mon service. C’est normal de s’attacher aux personnes dont on prend soin quand on est aide-soignante. Ce qui me réconforte, c’est de pouvoir ensuite en parler en équipe. Ça fait du bien. »
4. Verbalisez ce qui vous a mis en difficulté
Pris par la gestion des tâches au quotidien, de nombreux soignants prennent l’habitude de garder pour eux les émotions qui les traversent. Pourtant, face à un décès ou dans une situation d’accompagnement de fin de vie, parler de ce qui a été difficile pour soi est essentiel.
Partager à d’autres ce que l’on a vécu est la meilleure façon d’évacuer le trop plein et de retrouver progressivement une forme de bien-être. Si les discussions avec les collègues peuvent aider, il est parfois nécessaire de recourir à un accompagnement psychologique ou un service d’écoute, même brièvement et découvrir les bienfaits de l’écoute.
Claire est psychologue en unité de soins palliatifs
« Régulièrement, quand je sens que le décès d’un patient que j’ai accompagné jusqu’au bout m’affecte trop, je demande une supervision par un autre psychologue de l’établissement. Lorsqu’une relation prend fin, la gestion des émotions n’est pas toujours facile et ça m’aide énormément à faire le deuil. »
5. Écoutez vos besoins
Après un décès, il est bon d’écouter ses besoins : voir le défunt une dernière fois, parler à la famille et aux accompagnants, se recueillir dans le silence, aller au funérarium, pleurer, etc…
Que ce soit parmi les proches, les familles ou les soignants, chaque personne a une réaction qui lui est propre. Face à la mort, chacun a son propre chemin pour faire le deuil.
« A chaque fois qu’un patient décède, j’ai besoin de prendre un temps avec la famille auprès du lit du défunt pour partager leur peine. Pour moi, c’est indispensable pour faire le deuil. »
6. Prenez le temps de digérer l’évènement
Il est important de prendre le temps d’accueillir l’évènement et de ne pas passer trop vite à autre chose ! Même si c’est une réaction fréquente. Qu’il s’agisse des proches ou des soignants, il est important de respecter le temps du deuil afin de ne pas risquer le déni ou l’indifférence.
« À chaque fois qu’un patient décède, je veille à ce que la chambre où le décès est survenu ne soit pas tout de suite prête à accueillir une nouvelle personne. La chambre reste vide pendant 24h. C’est important pour toute l’équipe. C’est une forme de respect.»
7. Faites une relecture à distance de l’évènement pour en recueillir le sens
Relire ce qui s’est passé en soi durant certains accompagnements de fin de vie aide à tirer les leçons des décès mal vécus.
« Les groupes de paroles pluridisciplinaires sont hebdomadaires et permettent aux équipes soignantes de partager leurs ressentis. Le respect de la personne est une règle d’or et permet à chacun de faire part de son sentiment. C’est une respiration vitale pour les équipes. »
8. Appuyez-vous sur l’équipe
A l’heure d’un décès, le travail en équipe donne force et courage. Ensemble, traverser le deuil est plus facile et aide à poursuivre la mission de soigner la vie jusqu’au bout.
» Personnellement, j’ai mal vécu le deuil d’une jeune patiente. Toute l’équipe était très investie autour d’elle. Nous en avons parlé en équipe à plusieurs reprises. Ces temps de qualité pour s’entraider nous ont aidés à surmonter ce deuil. »
9. Accueillez votre impuissance
Le soignant est là pour accompagner le patient jusqu’au bout. Il aimerait que le patient ne souffre pas, meure le mieux possible et le plus doucement possible. Ce n’est pas toujours le cas. Le soignant se sent alors impuissant. Il est important d’accueillir cette vulnérabilité qui permet de rester à sa juste place.
Johann est infirmier en soins palliatifs
» Que l’on soit médecin, infirmier, aide-soignant ou autre, il me semble qu’on peut facilement s’arroger la position du sauveur lorsqu’on est soignant. Il faut lâcher prise et surtout bien se rappeler que c’est un travail d’équipe. »
10. Reconnaissez vos limites et exprimez-les
Apprendre à reconnaitre et à dire ce qui pèse ou ce qui est trop lourd à supporter, permet de ne pas aller au-delà de ses limites et de faire les bons choix.
« Parfois, quand je sens que le cas d’un patient est trop lourd, ou qu’une situation devient trop compliqué à gérer émotionnellement, je n’hésite pas à demander à un confrère de prendre la main. Et il m’arrive aussi de proposer mon aide dans l’autre sens. Dans mon métier, il me semble en effet essentiel d’avoir cette liberté. »
Il est important de se rappeler que les soins de fin de vie peuvent être émotionnellement éprouvants pour les soignants et les professionnels de la santé. Prendre le temps de reconnaître quand c’est trop, parler de ce qui a été difficile, être à l’écoute de ses besoins, compter sur le soutien d’une équipe et reconnaître ses limites sont des éléments clés pour fournir des soins avec compassion dans ces moments si particuliers.
Si vous souhaitez parler de ce qui vous habite, n’hésitez pas à solliciter vos collègues de travail, votre équipe. Nous sommes également à votre disposition pour vous écouter en toute confidentialité.
Prendre soin de vous, c’est vital pour mieux prendre soin des autres !
Clotilde Vitrant, infirmière