Pierre est médecin généraliste et a pratiqué des actes médicaux qu’il regrette aujourd’hui. Son témoignage est symptomatique d’un phénomène souvent tabou auquel les professionnels de la santé peuvent être confrontés au cours de leur carrière : la culpabilité. Celle-ci peut prendre la forme de remords, de regrets, de « j’aurais dû », « si j’avais su », « comment ai-je pu ? » etc. Autant d’obsessions culpabilisantes qui peuvent avoir un effet dévastateur sur la confiance en soi et sur la capacité à exercer son métier de soignant. À la lumière du témoignage de Pierre, voici quelques éléments de réflexion et de réponse à la question : comment faire face à la culpabilité quand on est soignant ?
« Il m’a fallu du temps pour ne plus me sentir coupable »
Pierre*, médecin, a accepté de nous raconter son histoire et de nous partager les enseignements qu’il en a tirés.
« Je suis médecin généraliste depuis plusieurs années dans un centre hospitalier parisien. Au cours de mes études, j’ai été contraint de pratiquer un acte que je regrette aujourd’hui. À l’époque, je ne me suis pas posé de questions. Je faisais ce que l’on me demandait. Et j’ai répété cet acte à plusieurs reprises sans être capable de résister.
Plusieurs années après, alors que je vivais personnellement une épreuve de vie, le passé a ressurgi et j’ai repensé à ce que j’avais fait lors de mes études. J’ai commencé à me sentir coupable et honteux.
Ce sentiment de culpabilité m’a habité pendant de longs mois. Je n’arrivais pas à m’en sortir. Je ressassais sans cesse mes remords, mes regrets…
Même si ce n’est, ni une erreur médicale, ni, d’ailleurs, une faute au sens du droit, je considère que j’ai vraiment fait une grave faute par rapport à mon éthique personnelle de soignant.
Transformer la culpabilité en levier de croissance
Il m’a fallu du temps pour me pardonner et pour laisser le passé derrière moi. J’ai aussi mis du temps pour parvenir à en tirer des leçons pour mieux vivre le présent et renouveler ma pratique professionnelle. Au fil des mois, il a fallu que je choisisse : soit je ruminais ma culpabilité éternellement, soit je décidais de la dépasser.
Sur mon chemin, j’ai eu la chance de trouver des personnes bienveillantes qui ont su m’écouter sans me juger. Cela m’a permis d’avancer et de transformer positivement cette culpabilité. Le fait d’en parler à d’autres soignants a été capital dans mon processus de “guérison” si j’ose dire. Les bienfaits de l’écoute sont nombreux.
Un jour, il y a eu comme un déclic. J’ai décidé d’aller de l’avant et de ne plus me laisser enfermer par les regrets du passé.
La chose essentielle pour moi était de savoir quel médecin je voulais être maintenant, et pour le reste de ma carrière.
Réparer son tort ?
J’ai alors réfléchi à mes valeurs en tant que soignant et à mes motivations profondes pour exercer un métier de la santé.
Plus concrètement, j’ai pris le temps de voir ce dont j’avais besoin pour exercer mon travail et être en accord avec moi-même.
Cela m’a amené à me former pour accroitre mes connaissances, afin de ne plus me faire piéger comme je l’avais été, par ignorance.
Cette démarche m’a beaucoup aidé car elle m’a rendu acteur. Au lieu d’être rongé par les remords et les regrets, j’ai fait de cette culpabilité quelque chose de positif. Avec du recul, je dirais que cette formation m’a, d’une certaine façon, permis de réparer mon tort et m’a remis sur les rails.
Prendre conscience de ses conditionnements
Reconnaitre ma juste part de responsabilité m’a aussi aidé car je me suis rendu compte que je n’étais pas le seul responsable dans la situation que j’avais vécu. Il m’a fallu du temps pour pouvoir prendre du recul, et accepter de faire la part des choses entre ce qui était de ma faute et ce qui ne l’était pas.
Du temps aussi, pour prendre conscience des conditionnements, des pressions et des contraintes qu’on exerçait à ce moment-là sur moi et qui ne m’ont pas permis d’agir en toute liberté de conscience. Parfois, je me dis que même si j’avais refusé ce geste, j’aurais peut-être été obligé de le poser au vu de l’ambiance générale du service dans lequel j’étais.
Donner plus de sens et d’exigences à mon métier
Tous ces petits pas faits m’ont aidé à vaincre ma culpabilité et à me remettre en chemin.
Au final, cette histoire malheureuse m’a fait grandir. Elle m’a permis de donner plus de sens à mon métier. J’ai pu me former pour renforcer mes savoirs et mieux connaitre quels sont mes valeurs et mes principes d’action.
Je suis passé par des phases difficiles mais au final, j’ai réussi à me libérer de la culpabilité. Aujourd’hui, je me sens davantage moi-même, en phase avec mon éthique et ma manière de considérer mon métier de médecin. »
5 étapes pour vaincre la culpabilité quand on est soignant
Particulièrement riche d’enseignements, le témoignage de Pierre révèle 5 étapes importantes pour se libérer de la culpabilité.
Étape 1. En parler avec quelqu’un
« Le fait d’en parler à d’autres soignants a été capital dans ce processus de “guérison” », témoigne Pierre.
Pourtant, le repli sur soi peut être l’attitude le plus souvent adoptée lorsqu’on se sent coupable. On peut alors avoir tendance à éviter le sujet alors même qu’il faudrait en parler. C’est particulièrement vrai pour les médecins ayant fait une erreur, voire une faute médicale.
Pour sortir de la spirale négative de la culpabilité, entrevoir des solutions et aller mieux, il est essentiel de trouver des personnes de confiance qui connaissent la complexité du métier. Se confier à un ami, lui aussi professionnel de la santé, peut être aidant. Contacter un service d’écoute est aussi une possibilité. Ces temps d’écoute bienveillante aident à prendre du recul pour voir plus clair sur ses besoins et les solutions possibles.
Étape 2. Accepter que “ça prenne du temps”
« Il m’a fallu du temps pour me pardonner », précise Pierre.
La question du temps est centrale à toutes les étapes. Il faut parfois du temps pour reconnaitre la culpabilité qui habite au fond de soi. Elle peut rester silencieuse longtemps et rejaillir au détour d’un évènement, d’une étape de vie. Il faut aussi du temps pour discerner sa juste part de responsabilité ; du temps pour extérioriser ses émotions ; du temps pour agir et trouver des solutions ; et encore du temps pour tourner la page et laisser définitivement derrière soi le sentiment de culpabilité.
Il est donc inutile de presser les choses, de se mettre une pression trop forte ou de se dire que le problème va être réglé rapidement. Vaincre un sentiment de culpabilité prend du temps.
Accepter de prendre du temps pour travailler cette question est important. Il peut s’agir d’un temps personnel, en tête-à-tête avec soi-même, pour faire le point. Être accompagné peut aussi être nécessaire pour se poser les bonnes questions et avancer.
Étape 3. Identifier les responsabilités
« Reconnaitre ma juste part de responsabilité m’a aussi aidé », explique Pierre.
Sur ce point également le témoignage de Pierre est éclairant. Au lieu de refouler sa culpabilité, de la rejeter en reportant la responsabilité sur les autres membres de l’équipe médicale, Pierre a accepté de faire un travail de vérité. Il a pris le temps de se refaire l’histoire avec objectivité pour voir les pressions qui ont pesé sur lui ainsi que les circonstances.
Faire ce travail de vérité permet de reconnaitre sa juste responsabilité. Déterminer avec exactitude ce qui est de sa responsabilité et ce qui n’en est pas, libère. Le fait d’assumer et de reconnaitre sa responsabilité est une étape clé pour passer à autre chose et construire quelque chose de nouveau. Pour cela, il est essentiel de se rappeler qu’il n’existe pas de soignants parfaits et que tous les professionnels de santé ou presque font un jour ou l’autre une ou des erreurs au cours de leur carrière.
Étape 4. Réparer quand c’est possible
« Cette formation m’a, d’une certaine façon, permis de réparer mon tort », confie Pierre dans son témoignage.
Réparer est une étape importante. Il s’agit de trouver ce qui aidera à restaurer en soi ou autour de soi ce qui a été endommagé.
Dans son témoignage par exemple, Pierre montre que, pour lui, la réparation a consisté à se former et à renouveler son engagement de médecin. En y réfléchissant, il existe de très nombreuses façons de “réparer” symboliquement ce qui a été fait ou de poser des actes qui vont dans le sens de la réparation.
Que puis-je mettre en place pour que l’erreur ne se renouvelle pas ? Quelle action puis-je mener ? Attention toutefois à ne pas se laisser étouffer par un « désir de réparer » qui peut devenir obsessionnel et se retourner contre l’objectif visé en paralysant votre capacité à prendre soin.
Étape 5. Prendre une nouvelle direction
Une fois que les étapes précédentes ont été franchies, il est essentiel de trouver un nouvel équilibre et de se tourner vers l’avenir de façon volontaire. Prendre une nouvelle direction aide à définitivement laisser la culpabilité derrière soi. Dans la mesure du possible, il est bon que cette prise de décision se traduise par des faits concrets.
Cela peut commencer par répondre à ces quelques questions : Quels sont mes besoins pour devenir le soignant que je souhaite être ? Quelles sont les décisions concrètes que je peux prendre aujourd’hui pour m’engager dans cette nouvelle direction ? Qu’est-ce que, demain, je peux faire changer dans mon travail ?
Sortir du sentiment de culpabilité est un cheminement progressif, au pas à pas, mais qui à terme, conduit la personne à ouvrir une nouvelle page professionnelle avec des horizons élargis !
* Pour préserver l’anonymat du soignant qui témoigne nous avons changé son prénom.