La posture de soignant impose aux professionnels de santé de faire face à n’importe quelle situation avec vaillance et professionnalisme, quitte à mettre de côté ses propres émotions. Avec le temps, cette mise à distance du ressenti – volontaire et répétée – peut finir par provoquer des troubles et un mal-être durable. Comment réagir quand exercer son métier de soignant devient difficile ? Que faire quand on commence à “perdre pied” ? Peut-on intégrer les émotions à sa pratique ? Et quelle juste place leur attribuer ?
Pourquoi les soignants ont tendance à mettre de côté leurs émotions ?
C’est une règle d’or. Quels que soient la gravité de l’état de santé d’un patient et son état émotionnel, le personnel soignant doit toujours “ gérer ” la prise en charge du malade avec sang-froid et professionnalisme.
Cette apparente assurance des soignants est un point d’appui important pour la personne malade. « Face à un patient, comment pourrions-nous montrer ne serait-ce qu’un zeste de fragilité ? », s’interroge cet infirmier. Au contraire, le soignant est la femme ou l’homme “ de la situation, celui ou celle qui « garde le contrôle » et sait ce qu’il faut faire.
Que ce soit dans un centre de soins, en milieu hospitalier, dans une clinique privée ou dans un cabinet en libéral, les patients viennent aussi bien chercher une solution à leur problème de santé que du réconfort face à la situation déstabilisante et inhabituelle qu’ils traversent.
Le professionnel de santé doit donc nécessairement répondre à cette double attente en étant « au top 24h/24 ».
Dans les structures médicales où le travail en équipe pluridisciplinaire est essentiel, cette même posture du soignant est essentielle. Le fait de garder ses émotions pour soi évite notamment de déstabiliser l’équipe médicale : il faut trouver ensemble, et dans la confiance mutuelle, des solutions aux problèmes des patients. Pour toutes ces raisons, au quotidien, la plupart des soignants ont pris l’habitude de mettre de côté leurs émotions.
Les confidences d’un médecin sur son mal-être…
Thomas a 53 ans. Il est médecin en milieu hospitalier. Il évoque une de ses nuits de garde où, après avoir géré deux réanimations en une heure, il a perdu ses deux patients :
« Cela m’a vraiment atteint, même si je ne savais pas précisément pourquoi. Devant l’équipe de soins, devant mes collègues, j’ai continué à faire bonne figure et à sourire, comme si rien ne s’était passé, jusqu’au moment où je suis rentré chez moi au petit matin. Je me suis littéralement écroulé dans mon lit. Heureusement, j’ai la chance d’avoir un bon ami. J’ai pu lui en parler le lendemain et vider mon sac ; cela m’a fait du bien. »
Thomas confie : « Il est difficile d’exprimer ses émotions dans le cadre professionnel ; c’est somme- toute, assez normal. Si je pleurais à chaque décès, je ne pourrais pas durer longtemps comme soignant, c’est certain. Cependant, nier que le métier du soin est un métier parfois cruel, serait un mensonge. On voit passer devant nos yeux bien des misères ! Et en même temps, les gens nous demandent de garder la tête froide. C’est difficile. Nous ne sommes pas des exécutants privés de cœur et d’émotions !
Par ailleurs, raconter ce que l’on vit à l’hôpital dans la sphère privée, n’est pas non plus si facile. Au contraire, « ça casse bien souvent l’ambiance ».
N’avez-vous pas connu ces repas où dès que vous osez parler de situations de soins complexes, un silence pesant s’installe au sein de votre groupe d’amis ?
Un autre médecin est carrément heurté qu’on demande sans cesse aux soignants de prendre ou de garder de la distance. « Pourquoi cette distance ? ». « Qu’est-ce qui motive cette demande ? »
Comment gérer ses émotions et retrouver du bien-être quand on est soignant ?
Les professions de santé sont des métiers très prenants où l’on peut “ laisser sa peau ” par passion. Stress, surmenage, pressions, manque de temps, morts brutales, conflits d’équipe, urgences, cas de conscience, chocs émotionnels, culpabilité… Autant de facteurs qui peuvent dangereusement affaiblir le soignant et entraver sa capacité d’action.
On aime les soignants au grand cœur, mais pas les excès de zèle. Un juste équilibre est à trouver.
Si vous êtes vous-même dans l’un de ces situations, sachez que pour trouver votre équilibre entre vie professionnelle/vie personnelle et gérer vos émotions, différents moyens existent.
Verbaliser
Nommer les causes de son mal-être est essentiel. Mettre des mots aide à la prise de conscience comme pour cette infirmière qui, lors d’une rencontre avec une thérapeute, a réalisé que son métier de soignant, qu’elle exerce pourtant avec passion, ne lui faisait voir que le côté dramatique de la vie. Tous les jours, elle écoute, soutient et accompagne des personnes qui souffrent d’angoisses et de questions existentielles. La soignante se sentait lourde de tout ce qu’elle entendait. Elle aimait son métier mais constatait qu’elle y perdait aussi le goût de la vie. Pouvoir nommer ce qui pèse, inquiète ou attriste est déjà un grand pas pour se sentir mieux.
La parole est une force pour celui qui s’en saisit. Bien des soignants en ont fait l’expérience.
Parler est libérateur car cela permet de prendre conscience de ce que l’on vit et de ce qui nous pèse.
Elle est comme une purge qui extrait ce qui, peut-être, abîme en silence. Et surtout, elle aide à retrouver du sens.
Accueillir ses émotions
Lorsqu’on se sent mal, il est essentiel d’apprendre à gérer ses émotions, de s’écouter. Quelles sont les émotions qui me traversent ? Quel événement, situation ou quelles paroles me touchent ? Et pourquoi ? Qu’est-ce qu’elles provoquent en moi ?
Faire mémoire des émotions est important. Les émotions ne sont pas à craindre ou à repousser même lorsque l’on est soignant.
Les accueillir sans jugement peut aider à se sentir mieux. S’autoriser à se sentir triste d’un décès ou d’une situation complexe ne retire en rien le professionnalisme du soignant.
S’entourer
Avoir une ou des personnes ressources sur qui pouvoir compter est également aidant. Ce peut être un ou une collègue, un proche, une personne de confiance, un écoutant. Parfois avoir recours à un psychologue ou à un médecin est nécessaire. Toutes ces personnes pourront être à l’écoute, sans juger et sans “ donner immédiatement des conseils ”. Grâce à leur empathie et leur reformulation, elles pourront vous permettre de clarifier votre vécu et vos émotions. Prendre le temps de dire à une oreille bienveillante ce qui a choqué, déçu, marqué, c’est autant de poids qu’on laisse derrière soi pour alléger et poursuivre la route.
Quoiqu’il en soit, si vous traversez une situation de douloureux mal-être, ne restez pas seul !